Petite présentation de la méthode des cristallisations sensibles
Si vous laissez une coupelle remplie d’eau de mer à l’air libre pendant plusieurs jours, l’eau va s’évaporer et vous aurez – majoritairement – au fond de votre récipient des cristaux de sel en forme de petits cubes : du chlorure de sodium (de formule chimique NaCl). Si vous faites la même chose avec un autre sel appelé chlorure de cuivre (formule CuCl2) dissous dans de l’eau, vous obtiendrez des cristaux de couleur bleue et de forme différente : non pas des cubes mais des aiguilles, disposées en étoiles de façon assez désordonnée. Il y a une autre différence entre ces deux sels, si maintenant vous ajoutez avant l’évaporation quelques gouttes de vin rouge, de jus de carotte ou de tisane de fleurs de camomille. Avec l’eau de mer, rien de spécial : à la fin, on observe à nouveau nos petits cubes amoncelés, nullement perturbés par la présence d’impuretés plus ou moins extravagantes. En revanche, avec le chlorure de cuivre, le changement est étonnant : les aiguilles cristallines, au lieu d’être éparpillées en tous sens, se retrouvent à former des dessins, comme si un sculpteur les avait disposées les unes à la suite des autres, pour former des sortes d’arborescences minérales.
Des sculptures, de véritables chefs d’oeuvre, nous pouvons en observer chaque jour dans la nature : dans l’harmonie d’une plante en fleurs, dans les courbes parfaites d’un corps animal... dans l’ensemble du monde vivant à vrai dire. Pommes de pin, coquilles d’escargots, les enfants s’émerveillent toujours de ces formes, les adultes plus rarement. Avant de se figer ainsi dans une matière dense et solidifiée, comme arrivées au bout de leur course, ces formes étaient en mouvement, étaient des mouvements, manifestations des processus vitaux animant ces organismes. Mouvements d’une lenteur telle qu’il est généralement impossible de les saisir à l’oeil nu. Des mouvements ayant lieu dans une matière encore plastique et modelable, à l’état liquide ou tout au moins fluide, colloïdal. Les images formées lors de la cristallisation du chlorure de cuivre ne se rencontrent pas dans la nature : elles sont le fruit de l’activité de l’esprit humain. Mais elles n’en sont pas pour autant aléatoires ou pure fantaisie : tout comme les formes des êtres vivants dans la nature, elles sont en vérité pleines de sens, si on se rend capable de les lire.
Quel rapport avec l’agriculture et l’alimentation ? Rudolf Steiner fut, dans les années 20 du vingtième siècle, à l’origine d’une nouvelle façon de pratiquer l’agriculture : une agriculture vivifiante, médicinale, qui fasse appel aux forces spécifiques du vivant, au lieu de se limiter à ne voir dans le sol, les plantes et les animaux d’élevage que molécules et réactions chimiques.
C’est le même Rudolf Steiner qui suggéra à l’un de ses élèves, Ehrenfried Pfeiffer, d’étudier les effets produits par l’ajout de substances alimentaires – et plus généralement de toute substance organique issue du monde vivant – à un sel dissous sur le point de cristalliser. Plus qu’une simple curiosité de laboratoire, Pfeiffer, en explorant en profondeur ce phénomène, a abouti à la mise au point d’une méthode, qu’il a nommée « cristallisation sensible ».
Sensible ? Mais à quoi ? Précisément à ces forces de vie, que Steiner nommait « forces formatrices » ou encore « forces modelantes ». L’action organisatrice de ces forces est rendue visible par cette méthode, tout comme un peu de limaille de fer saupoudrée au-dessus d’un aimant rend visible le champ magnétique généré par celui-ci. Ce n’est pas autrement que procède la recherche dans le domaine des sciences de la nature : chaque dispositif expérimental constitue un artifice, une sorte de scène édifiée par les scientifiques et sur laquelle le phénomène étudié est invité à monter pour s’exprimer, se dévoiler.
Mais en postulant a priori qu’il n’existe pas d’autres forces que celles que la physique du XXe siècle a cataloguées, et que la vie n’est rien de plus que de la chimie organique – certes très perfectionnée – la science académique se cache les yeux et se bouche les oreilles. Aujourd’hui, près d’un siècle après les premiers essais de Pfeiffer, elle a encore toutes les peines à reconnaître à la méthode des cristallisations sensibles une valeur scientifique, et à lui faire une place dans les centres de recherche et les universités, à côté des techniques expérimentales quantitatives qui produisent avec leurs appareils de mesure un amoncellement colossal de données chiffrées.
Une poignée de laboratoires parvient à obtenir quelques financements – en grande partie privés – pour travailler sur cette méthode (et d’autres méthodes dites « qualitatives », comme la morphochromatographie par exemple) et publier leurs résultats dans des revues scientifiques, mais cela reste très marginal. Citons tout de même les universités de Bonn et de Kassel en Allemagne, une Association pour la Recherche en Biodynamie au Danemark, ou encore une paire de laboratoires indépendants aux Pays-Bas. En France, à la suite de Marie-Françoise Tesson qui l’a introduite, utilisée et développée pendant près de quarante ans, les personnes formées à la cristallisation sensible encore en activité se comptent aujourd’hui sur les doigts de la main.
Et pourtant, les faits sont là : la cristallisation du chlorure de cuivre en présence d’une substance organique est bien un dispositif expérimental pertinent pour mettre en évidence le « pouvoir de mise en forme de la matière vivante » (pour paraphraser le titre d’un livre de Magda Engquist qui a utilisé la méthode pendant plusieurs décennies en Suède). Sur le plan technique, la température et le taux d’humidité de l’air environnant sont deux paramètres cruciaux, qui influent sur la vitesse d’évaporation de l’eau et donc sur le processus de cristallisation. Par conséquent, ils influent in fine sur le résultat obtenu : l’image. Il est donc primordial d’être en mesure de contrôler ces paramètres afin de maintenir constantes et reproductibles les conditions de cristallisation.
Ce fut la première étape accomplie par Pfeiffer et ses collaborateurs lors de la mise au point de la méthode et des appareils nécessaires (étuves ou « chambres de cristallisation ») : la durée optimale de l’évaporation est de 12 à 14 heures, la température étant fixée à 29 – 30°C et l’humidité relative comprise entre 50 et 60 %. Une fois cela établi, la réalisation de milliers d’images de cristallisation avec différents additifs (que nous n’appellerons plus des « impuretés » car il s’agit ici d’échantillons soigneusement préparés, dont la nature et la quantité sont bien maîtrisés) a montré que le pouvoir formateur qui organise les cristaux de chlorure de cuivre était une propriété de la substance organique ajoutée. Voyons cela concrètement sur quelques exemples.
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